5 janvier 2009

De la théorie des jeux à la science collaborative

Il existe un jeu très simple qu’on appelle le dilemme du prisonnier. Dans ce jeu, deux prisonniers (coupables) jouent ensemble et sont interrogés par la police. Chaque prisonnier peut (1) tenir sa langue ou (2) dénoncer son compagnon larron. Trois situations peuvent se présenter, soit les deux prisonniers se taisent ont une petite peine de prison, soit l’un des deux prisonniers trahit son compagnon, alors le prisonnier trahi écope d’une lourde peine et le prisonnier traite n'a aucune peine, finalement, les deux prisonniers peuvent trahir, alors ils ont tous deux une peine modérée.


Le dilemme du prisonnier
1\2Se taitDénonce
Se tait(-1;-1)(-10;0)
Dénonce(0;-10)(-5;-5)


Lorsque l’on joue très souvent à ce jeu, avec plusieurs personnes, par exemple dans un tournoi, alors on découvre que pour remporter la partie il faut :

  1. Être d’abord vertueux, c'est-à-dire ne pas dénoncer.

  2. Punir la trahison. Si l’on est dénoncé, alors il faut dénoncer à son tour.

  3. Pardonner rapidement. Si notre adversaire devient « bon », il faut le pardonner rapidement pour bénéficier des avantages de la collaboration.

  4. Être prévisible

Donc, il faut être altruiste, punir avec justice, pardonner rapidement et être prévisible. Ce sont de bons conseils.

Image tirée de www.univie.ac.at/virtuallabs/Snowdrift/ sous licence Creative Commons. Dilemme du prisonnier spatialisé. Les groupes en bleus représentent des individus qui collaborent, les groupes en rouge représentent des individus qui trahissent et font cavalier seul.

Si l’on complexifie le jeu pour jouer avec plusieurs « voisins » simultanément, alors on se retrouve devant le dilemme du prisonnier spatialisé. On pourrait imaginer par exemple plusieurs laboratoires scientifiques dispersés à travers le monde et liés par un réseau complexe de collaborations et de compétitions. Comme dans le premier jeu, on peut imaginer que deux laboratoires qui collaborent efficacement parviendront à de meilleurs résultats que des laboratoires qui travaillent seuls. Le laboratoire qui travaille seul réussira mieux que celui qui se fait voler ses recherches. Bref, la science collaborative comporte des risques et des bénéfices.

Que nous dit le dilemme du prisonnier spatialisé? Il nous dit que naturellement, les collaborateurs vont avoir tendance à se regrouper pour obtenir des gains plus élevés. Qu’un certain nombre de laboratoires voulant collaborer se feront voler leurs idées et seront les grands perdants, que certains laboratoires voleront des idées et seront gagnants et que la plupart des laboratoires faisant cavaliers seuls se retrouveront moins compétitifs que ceux qui collaborent entre eux.

Est-ce que la conclusion qu’il faut tirer de cette analyse est que la collaboration scientifique comporte des risques et des avantages et qu’il appartient aux scientifiques de décider si le jeu en vaut la chandelle? Selon moi, non.

À mon avis, il faut revenir à la base du métier de scientifique pour trouver la réponse. Peut-être que certains d'entre nous font de la science pour leur carrière. Soyons honnête, de belles carrières existent ailleurs, mais je crois que là n'est pas la chance du scientifique. Nous avons la chance d'articuler un certain nombre de changements dans notre monde, de participer à des projets d'une ampleur vertigineuse pour construire une société meilleure. Nous avons la chance d'étancher notre curiosité un peu plus chaque jour.

Pour toutes ces raisons, la science collaborative m'apparaît prometteuse.

Publié par : Frédéric Couet

2 commentaires:

  1. Hey Fred,

    Si je peux me permettre un ajout: on a souvent envie d'interpréter les décisions optimales de manière morale. Mais il n'y a pas que l'altruisme qui rende enclin à collaborer: il y a aussi la notion de réciprocité -- un truc «conditionnel», qui nous ramène plus à la justice ou l'équité qu'à la générosité ou l'altruisme.

    Mettons que pour toi on collabore parce que c'est la bonne décision d'un point de vue moral; moi je peux simplement rendre coup sur coup la collaboration pour la collaboration et la trahison pour la trahison... parce que c'est ce qui, à long terme, maximise mon payoff!

    Bref, en th des jeux, les concepts de réciprocité et d'altruïsme sont distincs, et peuvent tout deux engendrer la collaboration.

    À+
    Nic

    ps. cool ton blogue! Pourquoi tu me l'as pas dit plus tôt?

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  2. Il est vrai que nous devons être précis avec les mots. Il n'est pas nécessaire d'être altruiste pour suivre les leçons de ce billet.
    En fait, il n'est pas nécessaire d'avoir un grand niveau de moralité pour agir selon un principe semblable à la « punition-récompense ». Le lien entre cette théorie et la moralité est une question intéressante.

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