Dès lors que l’on exclut le fascinant monde des biomatériaux pour lequel on trouve des exemples d’applications datant de centaines d’années avant Jésus-Christ, on se retrouve à chercher un point de départ à notre travail d’historien du génie tissulaire. Or, serait-ce possible que ce commencement de la discipline se situe dans nos motifs? Dans nos rêves d’éternité et de création? Goethe en décrit une scène troublante dans Faust, partie 2 en 1843 :
« Vagner, qui, las de la chimie et de la physique expérimentale, a imaginé de dérober le secret de la création. A force de combiner les gaz, les fluides et les plus purs élémens de la matière, il est parvenu à concentrer dans une fiole le mélange précis où doit éclore le germe humain. […] En effet, cela monte et bouillonne; la lueur devient plus vive, la fiole tinte et vibre, un petit être se dessine et se forme dans la liqueur épaisse et blanchâtre ; ce qui tintait prend une voix. Homonculus, dans sa fiole, salue son père scientifique. »
Armés de nos motivations – bonnes ou mauvaises (voir Ethical Considerations of Tissue Engineering) –, nous avons bâti les compétences et le savoir pour supporter le génie tissulaire. Voici quelques évènements importants sur ce parcours :
- 1665, Robert Hooke décrit la cellule dans son célèbre ouvrage Micrographia.
- Début 19e siècle, la compréhension des cellules se développe et mènent à la formulation d’une théorie de la cellule.
- 1858, Virchow écrit : « Omnis cellula e cellula… » Une cellule naît à partir d’une autre cellule.
- 1907, démonstration de la croissance active de cellules en culture in vitro.
- Début 20e siècle, Alexis Carrel pose les jalons de la transplantation d’organe moderne.
- 1956, on rapporte la transplantation réussie d’un rein entre deux vrais jumeaux.
- 1967, première transplantation cardiaque.
- 1968, première transplantation de moelle épinière.
- Dans les années 1970, des travaux combinent biomatériaux et cellules, notamment pour fabriquer de la peau artificielle.
- 1990, 3.5 milliards de dollars sont investis en génie tissulaire, principalement de sources privées.
- 1997, TransCyte est le premier produit du génie tissulaire approuvé par la FDA (Food and Drug Administration) aux États-Unis.
- 1998, des cellules souches d’embryons humains sont isolées.
- 2000, le magasine Time nomme le métier d’ingénieur tissulaire le «plus hot» du 21e siècle.
Aujourd’hui, le génie tissulaire englobe des solutions à différents stades de développement (recherche, préclinique, clinique et approuvé) pour remplacer la peau, les os, le cartilage, les vaisseaux sanguins, les valves cardiaques, la rétine, les nerfs, les fonctions pancréatiques, la vessie et possiblement bien d’autres tissus et organes.
Les défis de demain
En 2007, le magasine Tissue Engineering a demandé à 24 chefs de file dans le domaine de présenter leur vision stratégique pour le futur du génie tissulaire. L’analyse de leur discours a permis de mettre en relief un certain nombre d’objectifs prioritaires pour le futur de la profession, notamment :
- Contrôler l’angiogenèse, soit le processus qui contrôle la croissance de nouveaux vaisseaux sanguins pour irriguer les tissus et organes fabriqués.
- Mieux comprendre la science des cellules souches qui semblent présenter un potentiel énorme pour le génie tissulaire et la médecine régénérative.
- Comprendre la biologie cellulaire et la biologie des systèmes.
Tandis que nos efforts sont concentrés pour améliorer la qualité de vie des patients dans nos hôpitaux en fabriquant des tissus et des organes, notre travail apporte des fruits inattendus. Il n’est pas irréaliste de songer que ces efforts mèneront dans le futur à mieux comprendre l’angiogenèse (qui est un élément important dans un processus pathologique connu : la croissance de tumeurs). Les systèmes que nous développons pour fabriquer des tissus en laboratoire serviront certainement à mieux comprendre la biologie des systèmes, à étudier des pathologies en laboratoire (et éviter certains tests sur des animaux!)
Le domaine du génie tissulaire est une science fascinante qui nous donne le pouvoir de créer. C’est un pouvoir immense et donc, un grand défi. Enraciné dans une profonde humanité basée sur la morale et l’éthique, le génie tissulaire doit grandir afin de contribuer à ce rêve qu’est, pour nous et nos enfants, le 21e siècle.
Sources
[1] Peter J. van Winterswijk and Erik Nout, Tissue Engineering and Wound Healing: An Overview of the Past, Present, and Future, Wound, 10, 2007.
[2] Ulrich Meyer, The History of Tissue Engineering and Regenerative Medicine in Perspective, Fundamentals of Tissue Engineering and Regenerative Medicine, Springer Berlin Heidelberg, 2009.
[3] Peter C. Johnson, Antonios G. Mikos, John P. Fisher and John A. Jansen, Strategic Directions in Tissue Engineering, TISSUE ENGINEERING, Volume 13, Number 12, 2007.
Publié par : Frédéric Couet
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